Mourir faute de m¨¦dicaments
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Mourir faute de m¨¦dicaments
Environ? 1,6 million d'Africains? sont morts en 2015 du paludisme, de la tuberculose et des maladies li¨¦es au VIH. Ces maladies peuvent ¨ºtre ¨¦vit¨¦es ou trait¨¦es gr?ce ¨¤ un acc¨¨s rapide ¨¤ des? m¨¦dicaments, vaccins et autres services de sant¨¦ qui seraient? ¨¤ la fois appropri¨¦s et abordables . Cependant,? l¡¯Afrique ne produit que 2 % des m¨¦dicaments qu¡¯elle consomme. D¨¨s lors, nombreux sont les malades qui n'ont pas les moyens d'acheter des m¨¦dicaments import¨¦s et n'ont pas non plus acc¨¨s ¨¤ des m¨¦dicaments produits localement.
Sans acc¨¨s aux m¨¦dicaments, les Africains sont plus susceptibles de contracter l'une des trois? maladies qui font le plus de morts? sur le continent : le paludisme, la tuberculose et le VIH/sida. Selon l'Organisation mondiale de la Sant¨¦ (OMS), 50 % des enfants de moins de cinq ans qui meurent de pneumonie, diarrh¨¦e, rougeole, ou encore du VIH, de la tuberculose et du paludisme sont africains. L'OMS d¨¦finit l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments comme le fait de pouvoir en disposer? en permanence et ¨¤ un co?t abordable dans des ¨¦tablissements de sant¨¦ situ¨¦s ¨¤ moins d'une heure de marche.
Facteurs dissuasifs
Selon les chiffres de 2013 de la Banque mondiale,? 80 % environ des Africains, essentiellement ceux qui ont? des revenus faibles ou moyens , d¨¦pendent des? ¨¦tablissements? de sant¨¦ publics pour leurs besoins m¨¦dicaux. Mais ces ¨¦tablissements connaissant une p¨¦nurie chronique de m¨¦dicaments essentiels de nombreux? patients? meurent de maladies facilement gu¨¦rissables.
Plusieurs facteurs entravent l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments, mais selon l'OMS, le principal probl¨¨me r¨¦side dans? le manque de ressources et de personnel qualifi¨¦.
Pour l'Organisation, ? les pays ¨¤ faible revenu souffrent d'un manque de disponibilit¨¦ des m¨¦dicaments essentiels dans les ¨¦tablissements de sant¨¦, d¡¯un manque de traitements de qualit¨¦, et de ruptures de stocks? fr¨¦quentes. Par ailleurs, la prescription et? l'usage des m¨¦dicaments laissent ¨¤ d¨¦sirer. ?
Le syst¨¨me africain d'approvisionnement? du secteur public inefficace et jug¨¦ trop bureaucratique, est souvent en proie ¨¤? des pratiques m¨¦diocres? qui entra?nent une augmentation du? prix des m¨¦dicaments ou les rendent indisponibles. S'ajoutent ¨¤ cela les probl¨¨mes de transport, le manque d'installations de stockage pour les produits pharmaceutiques ou encore les faibles capacit¨¦s de fabrication des pays du continent.
Pour les experts, l'Afrique a encore d'¨¦normes progr¨¨s ¨¤ faire dans le domaine de? la recherche et du d¨¦veloppement pharmaceutiques ainsi que dans? la production locale de m¨¦dicaments? : seuls 37 des 54 ?tats africains sont producteurs de m¨¦dicaments. ? l'exception de l'Afrique du Sud, o¨´ quelques? ingr¨¦dients pharmaceutiques actifs sont produits localement, la plupart des pays du continent utilisent des ingr¨¦dients import¨¦s.
Il en r¨¦sulte que l'Afrique importe 70 % de ses produits pharmaceutiques, l'Inde repr¨¦sentant ¨¤ elle seule pr¨¨s de 18 % des importations en 2011. Les? donn¨¦es relatives au commerce? montrent que les importations pharmaceutiques en Afrique peuvent compter jusqu'¨¤ 80 % de m¨¦dicaments antir¨¦troviraux, utilis¨¦s pour le traitement du VIH/sida.
? De nombreux gouvernements africains consacrent une quantit¨¦ disproportionn¨¦e de leurs maigres ressources ¨¤ l'achat de m¨¦dicaments ?, ¨¦crit Carlos Lopes, l'ancien Secr¨¦taire ex¨¦cutif de la Commission ¨¦conomique des Nations Unies pour l'Afrique.
Pour produire des m¨¦dicaments, un pays doit se conformer aux Bonnes pratiques actuelles de fabrication, qui sont appliqu¨¦es par les ?tats-Unis et par d'autres pays pour s'assurer de la qualit¨¦ des processus de fabrication et des installations. De nombreux pays africains ne disposent pas des ressources techniques, financi¨¨res ou humaines n¨¦cessaires ¨¤ la production de m¨¦dicaments ¨¤ grande ¨¦chelle. L'?gypte, le Maroc, l'Afrique du Sud et la Tunisie ont cependant fait des progr¨¨s en mati¨¨re de production pharmaceutique au niveau local. Le Maroc est le deuxi¨¨me producteur pharmaceutique d'Afrique (apr¨¨s l'Afrique du Sud) et compte 40 soci¨¦t¨¦s pharmaceutiques qui fournissent 70 % de produits destin¨¦s ¨¤ la consommation locale. Ces soci¨¦t¨¦s exportent aussi vers les pays voisins. Des pays comme le Ghana, le Kenya, le Nig¨¦ria et la Tanzanie d¨¦veloppent actuellement des capacit¨¦s de production.
Soup?ons
De nombreux dirigeants politiques africains et experts en mati¨¨re de? d¨¦veloppement d¨¦noncent l¡¯ambivalence des grandes soci¨¦t¨¦s pharmaceutiques mondiales en ce qui concerne l'apport d'un? soutien technique aux fabricants de m¨¦dicaments du continent. Ainsi en 2001, 39 soci¨¦t¨¦s pharmaceutiques internationales ont tra?n¨¦ le gouvernement sud-africain devant les tribunaux pour contester? ses projets de fabrication et d'importation de m¨¦dicaments g¨¦n¨¦riques ¨¤ bas co?t destin¨¦s au traitement du VIH/sida.
Ces soci¨¦t¨¦s pr¨¦tendaient que l'Afrique du Sud violait leurs droits de brevet. Bien qu'elles aient par la suite retir¨¦ leur plainte sous la pression de groupes plaidant pour un acc¨¨s international aux m¨¦dicaments.?
Il est cependant prouv¨¦ que la production locale am¨¦liore l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments tout en diminuant leur co?t de production. ? Depuis la cr¨¦ation des installations de production de m¨¦dicaments g¨¦n¨¦riques de haute technologie Cinpharm-Cameroon, il est relativement plus facile pour les Camerounais d'acc¨¦der aux m¨¦dicaments ?, explique? Carlos Lopes.?
L'accord sur les aspects des droits de propri¨¦t¨¦ intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en vigueur depuis 1986, limite le? droit des entreprises de fabriquer des m¨¦dicaments g¨¦n¨¦riques et oblige les pays ¨¤ utiliser ? des produits de marque. En 2006, l'OMC a toutefois accord¨¦ aux pays en d¨¦veloppement une d¨¦rogation de dix ans pour fabriquer des m¨¦dicaments g¨¦n¨¦riques en utilisant les droits de propri¨¦t¨¦ intellectuelle des grandes soci¨¦t¨¦s pharmaceutiques ¨¦trang¨¨res.
Malgr¨¦ les objections des ?tats-Unis, la d¨¦rogation, qui a expir¨¦ cette ann¨¦e, a ¨¦t¨¦ prorog¨¦e. Seul un vote des deux tiers des membres de l'OMC permettrait de la supprimer. Mais les experts estiment qu'il est peu probable que cela se produise, les ?tats-Unis ¨¦tant le seul grand pays ¨¤ l¡¯exiger.
En 2010, le Directeur g¨¦n¨¦ral de l'OMS, Margaret Chan, faisait remarquer que le d¨¦bat sur l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments ¨¦tait trop souvent marqu¨¦ par le soup?on : ? Soup?ons de trucage des r¨¨gles r¨¦gissant le commerce international des produits pharmaceutiques pour favoriser les riches et les puissants; soup?ons aussi vis-¨¤-vis des int¨¦r¨ºts ¨¦conomiques, qui prendraient le pas sur les pr¨¦occupations en mati¨¨re? de sant¨¦. ?
Selon Mme Chan, de profondes m¨¦fiances brouillent? le d¨¦bat. Pour Mme Chan, m¨ºme si? l'argument moral qui consiste ¨¤ ne pas priver les gens de l'acc¨¨s ¨¤ des m¨¦dicaments vitaux est? raisonnable en soi, les soci¨¦t¨¦s pharmaceutiques ¨¤ but lucratif r¨¦pondent aux lois du march¨¦. ? Quel int¨¦r¨ºt? cette industrie peut-elle bien avoir ¨¤? fixer des prix qui rendraient les m¨¦dicaments accessibles aux? pauvres ? ?
Des progr¨¨s dans certains pays
Si la disponibilit¨¦ des m¨¦dicaments est importante, leur accessibilit¨¦ l'est tout autant. Des pays comme le Ghana ou l'Afrique du Sud se sont efforc¨¦s de? rendre les m¨¦dicaments abordables gr?ce ¨¤? leurs r¨¦gimes d'assurance. Mais ces efforts ont ¨¦t¨¦ plut?t faibles : dans leur ensemble, les r¨¦gimes d'assurance couvrent moins de 8 %? de la population d'Afrique subsaharienne et cette couverture ne concerne pas les m¨¦dicaments sur ordonnance en soins ambulatoires.
Pour mettre en relief? le probl¨¨me de l'accessibilit¨¦, l'OMS note que le traitement d'un enfant pour le paludisme en Ouganda ¨¤ l'aide d'une th¨¦rapie ¨¤ base d'art¨¦misinine co?te au m¨¦nage l'¨¦quivalent de 11 jours de revenus. Au Kenya, un traitement de sept jours ¨¤ l'antibiotique ciprofloxacine peut co?ter jusqu'¨¤ un mois de salaire.
Malgr¨¦ d'¨¦videntes difficult¨¦s, certains pays font des progr¨¨s en mati¨¨re d'am¨¦lioration de l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments. Selon l'OMS, le Botswana fait partie des pays qui pourraient? ¨¦radiquer le paludisme d'ici ¨¤ 2020. ? Nous avons constat¨¦ une am¨¦lioration consid¨¦rable de notre syst¨¨me de sant¨¦ ces derni¨¨res ann¨¦es ?, a ainsi expliqu¨¦ le directeur g¨¦n¨¦ral du minist¨¨re de la sant¨¦ du Botswana, Shenaaz el Halabi, ¨¤ Afrique Renouveau.?
L'?thiopie a ¨¦galement accompli des progr¨¨s consid¨¦rables, en particulier dans le domaine du contr?le du VIH et du traitement du paludisme, de la tuberculose et d'autres maladies. L¡¯OMS note ainsi que ? les investissements accrus de l'?thiopie dans l'¨¦largissement de la couverture sanitaire ¨C qui a atteint 95% entre 2013 et 2014 ¨C ont d¨¦j¨¤ am¨¦lior¨¦ les indicateurs de sant¨¦ de la population en r¨¦duisant la mortalit¨¦ infantile, le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose ?.
M¨¦decine traditionnelle
Face aux difficult¨¦s d'acc¨¨s aux m¨¦dicaments modernes, de nombreux Africains recourent ¨¤ des rem¨¨des rituels ou ¨¤ base de plantes utilis¨¦s par la m¨¦decine traditionnelle dans plusieurs soci¨¦t¨¦s africaines. Ali Arazeem Abdullahi, professeur de sociologie ¨¤ l'Universit¨¦ d'Ilorin au Nig¨¦ria, met cependant en garde contre ? l'id¨¦e g¨¦n¨¦ralement r¨¦pandue dans le milieu m¨¦dical [en Afrique] selon laquelle la m¨¦decine traditionnelle peut se mesurer aux? proc¨¦dures scientifiques habituelles, en termes d'objectivit¨¦, de mesures, de codification et de classification ?.?
Conscient que les charlatans doivent ¨ºtre neutralis¨¦s, le professeur Abdullahi demande aux politiques d'imposer un changement d'image et une normalisation des pratiques de la m¨¦decine traditionnelle.?
Selon les experts, il serait possible d'am¨¦liorer l'acc¨¨s des Africains aux m¨¦dicaments en stimulant? la production locale, d¨¦veloppant des politiques et des infrastructures appropri¨¦es, et en formant? les talents dans le domaine m¨¦dical, pour ensuite? les conserver.? ?